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Au courrier de Madame la Directrice

Nous avons été très nombreux à, en sus de la signature de la pétition, écrire à Madame Canto-Sperber pour lui exprimer notre indignation et lui présenter nos arguments.

Nous publions ici celles qui nous été transmises, sans aucune censure, dans l'ordre où elles ont été écrites. Elles expriment des opinions variées, et ont l'immense mérite de témoigner du rapport personnel de leurs auteurs à notre bibliothèque. (Bien évidemment, aucune n'engage le Collectif en tant que tel).

Si vous voulez écrire à votre tour à Madame la Directrice, n'hésitez pas (canto@shs.polytechnique.fr). Si vous lui avez déjà écrit et que vous souhaitez voir votre lettre publiée sur cette page, envoyez-la nous à collectifbiblio@free.fr.

Voici donc les lettres écrites par Laurence Mellerin-Picard, Emmanuel Lyasse, Dominique Lenfant, Élise Gillon, Romain Telliez, Laurent Vissière, François-Xavier Nérard, Anne Jacquemin, Patricia Eichel-Lojkine, Guillaume Bady, Marie-Christine Marcellesi, Marie-Anne Sabiani.

Elles sont suivies par la réponse type que leur a adressée Madame Canto-Sperber (avec quelques variantes, généralement peu aimables, pour les dernières, dont nous vous épargnons la recension).

Vous pouvez enfin consulter, sur une autre page, la (longue) réaction collective à cette réponse de Laurence Mellerin-Picard, Emmanuel Lyasse, Dominique Lenfant, et Romain Telliez.

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De: Laurence Mellerin-Picard Date: 24 octobre 2006 13:21:08 GMT+02:00

Objet: La Bibliothèque de l'Ecole devient payante

Chère Madame,

J'apprends ce jour par plusieurs sources que la Bibliothèque de l'ENS deviendrait payante. Cette décision me paraît tout à fait scandaleuse, et je souhaite vivement que le prochain CA revienne sur elle. En tant qu'archicube lyonnaise, ma fréquentation de la Bibliothèque est tout à fait occasionnelle, mais elle deviendra nulle si l'accès en devient payant. En revanche, je serai tout à fait disposée à participer financièrement, sur la base du volontariat, à son fonctionnement, si cela est nécessaire. Il me semble essentiel que tout (ancien) élève de l'Ecole puisse se sentir chez lui dans cette bibliothèque, et c'est un manque de confiance très déplaisant envers la communauté normalienne que cette entrée payante.

Je pense que cette position reflète celle de bon nombre d'archicubes, et j'espère que vous pourrez l'entendre.

Bien cordialement,

Laurence Mellerin-Picard (Lettres, 1992)
CNRS " Histoire et sources des mondes antiques " (UMR 5189), Institut des Sources Chrétiennes

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De: Emmanuel Lyasse Date: 24 octobre 2006 23:45:35 GMT+02:00

Objet: Bibliothèque

Madame la Directrice, chère archicube,

J'avais eu l'occasion de vous écrire, en mars dernier, quand les mesures de sécurité liées au mouvement contre le CPE m'avaient empêché un moment de pénétrer dans l'École.

J'avais alors apprécié la rapidité et la clarté de votre réponse, qui résolvait mon problème personnel. Je dois reconnaître que les restrictions à l'entrée, qui me paraissent toujours avoir été injustifiées, ont grâce à vous fort peu duré, et sont restées dans les limites du raisonnable.

Vous me disiez alors, ce qui me comble d'aise, "être attachée, comme [moi], à la réalité d'une École ouverte".

C'est donc avec une extrême surprise que j'apprends, par un mail d'une camarade et ancienne collègue de Strasbourg, que le CA vient de décide d'imposer une redevance annuelle à qui voudra désormais pénétrer dans notre Bibliothèque. Cela me semble aussi peu compatible avec les engagements pris devant chacun d'entre nous lors de son entrée qu'avec l'idée d'École ouverte dont nous parlions.

S'il est probable que ceux des lecteurs qui viennent plusieurs fois par semaine se résignent à payer cette redevance, il est certain qu'elle exclura en revanche radicalement tous ceux qui ne passent que de loin en loin, qui sont la particularité de notre Bibliothèque, sa richesse, sa principale raison d'être.

Il se trouve que j'ai été, au gré de mes affectations ou de mes absences d'affectation, tantôt des premiers, tantôt des deuxièmes. Je ne suis plus aujourd'hui, habitant en province, en congé de l'Education nationale et cherchant une reconversion, qu'un Parisien très occasionnel. Je n'en mesure que mieux ce que m'offre la bibliothèque que nous avons héritée de nos prédécesseurs. J'en mesure surtout, désormais, à quel point le changement radical que le CA veut imposer créera un manque.

Il est fort curieux que, pour répondre aux difficultés financières de la Bibliothèque, on prenne, sans aucun débat préalable, une mesure qui, outre qu'elle nie arbitrairement un usage établi depuis des décennies, aura pour premier effet certain de la priver d'une part importante, peut-être majoritaire, de ses lecteurs.

Il me semble qu'il serait bien préférable d'encourager le financement volontaire par les lecteurs de leur Bibliothèque. Cela éviterait de commettre une injustice scandaleuse. Cela rapporterait peut-être même plus: je croirais volontiers que les normaliens seraient plus prêts à contribuer volontairement au maintien de leur patrimoine commun qu'à accepter d'en être spoliés par une décision qui ne peut que leur paraître arbitraire.

Je crains fort que cette décision, prise dans l'urgence sous des pressions extérieures, aboutisse au résultat inverse de celui qu'on prétend souhaiter, en dépeuplant notre Bibliothèque de ses lecteurs.

Je veux croire que l'émotion qu'elle suscite chez beaucoup de nos camarades vous conduira à mesurer l'ampleur de l'erreur commise et à proposer au prochain CA d'annuler le vote de celui-ci. Pour avoir vécu, en tant qu'élu, en 1996, la tentative d'imposer des frais d'inscription au concours, tentative qui avait beaucoup de points communs avec celle qui me préoccupe aujourd'hui, je sais que le CA peut revenir sur ses erreurs, et je garde espoir.

Je vous prie de croire, Madame la Directrice, chère archicube, à ma haute considération, dans la fidélité au principe d'une École ouverte sans conditions à tous ceux qu'elle a eus comme élèves.

Emmanuel Lyasse (Lettres, 1991)
agrégé d'Histoire, docteur en Histoire romaine

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De: Dominique Lenfant Date: 25 octobre 2006 15:09:57 GMT+02:00

Objet: accès payant à la bibliothèque

Madame la Directrice,

J’ai appris avec stupéfaction la décision prise par le dernier conseil d’administration de l’École d’imposer aux lecteurs de la bibliothèque de la rue d’Ulm, élèves actuels exceptés, une redevance annuelle conséquente. Dans la pratique, un tel choix revient à réserver l’accès de la bibliothèque à un club privé, fermé et presque exclusivement parisien, car il va de soi que, quand on habite en province et que l’on n’a pas la possibilité matérielle de se rendre régulièrement à la bibliothèque, on sera conduit par une telle mesure à n’y plus venir du tout, tandis que les lecteurs qui se seront acquittés de la redevance auront à cœur de l’amortir par une fréquentation assidue. L’introduction d’une telle discrimination dans un contexte déjà déséquilibré à bien des points de vue me paraît contraire à l’esprit républicain dont l’École me semblait jusqu’ici une incarnation partielle.

Sur le plan des principes, l’imposition d’une redevance me paraît en effet contrevenir à la tradition et donc à l’engagement implicite de l’État vis-à-vis des élèves de l’École. Je ne vous apprendrai rien, sans doute, en vous disant que, de mon point de vue, la jouissance de la bibliothèque est le principal avantage que l’on obtienne à son entrée à l’École. Comme vous le savez aussi, cette bibliothèque est plus qu’un lieu de travail et de consultation des livres, c’est aussi l’organe vital de l’École. Par le changement de nature qui est envisagé, l’École ne pourrait que se vider d’une bonne part de sa substance. Et les anciens élèves comprendraient mal de se trouver soudainement exclus au profit des bons payeurs.

Tout en étant moi-même une ancienne élève, je n’en suis pas moins en désaccord avec la proposition qui concerne les autorisés. Il est certain que la bibliothèque est devenue depuis longtemps non seulement la bibliothèque des élèves, mais une bibliothèque de chercheurs, et c’est — en même temps que le signe des graves carences dont souffre la recherche en France — tout à la gloire de notre établissement. Dès lors qu’on a décidé d’ouvrir l’accès de la bibliothèque à des chercheurs extérieurs, je ne vois aucune raison pour les sélectionner par l’argent ou par la proximité de leur domicile.

Je n’ignore pas que la décision qui a été prise, dans des conditions du reste peu glorieuses si l’on en croit certains témoins, visait à remédier à une situation matérielle de plus en plus difficile. Certaines pistes seraient peut-être à explorer comme d’inciter les lecteurs, anciens élèves et autorisés, à faire systématiquement don de leurs publications à la bibliothèque dès leur parution. Mais il ne me paraît pas acceptable que les chercheurs, qui paient déjà tant de leur personne et de leurs ressources pour pouvoir s’adonner à leur activité, fassent une fois de plus les frais du désengagement de l’État envers lequel ils ont pourtant toujours rempli toutes leurs obligations.

C’est pourquoi je me permets de vous dire, Madame la Directrice, combien je souhaiterais que le conseil d’administration de l’École revienne sur cette décision et la discute à tout le moins dès sa prochaine réunion dans des conditions démocratiques normales.

Je vous prie d’agréer, Madame la Directrice, l’expression de mon profond respect.

Dominique Lenfant (Lettres, 1985),
Maître de conférences d’histoire grecque à l’université Marc Bloch (Strasbourg)

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De: Elise Gillon Date: 25 octobre 2006 21:41:45 GMT+02:00

Objet: Bibliothèque payante

Madame la Directrice, chère collègue,

Je viens d'apprendre que le conseil d'administration de l'E.N.S. avait voté une redevance d'une centaine d'euros pour l'accès à la bibliothèque. Il me semble que cette décision devrait être reconsidérée, car elle rompt la communauté normalienne, qui, après la sortie de l'école, se constitue principalement et très concrètement autour de la bibliothèque . Sans plus m'étendre en généralités, je vous présenterai mon cas particulier (qui n'est sans doute pas isolé) : faute d'un poste d' A.T.E.R., je suis affectée cette année dans le secondaire, en province. Je ne peux plus mener mes travaux de recherche que de façon épisodique : quelques samedis en bibliothèque, quelques emprunts me permettraient de ne pas abandonner complètement...

Je suis évidemment prête à contribuer au fonctionnement de notre bibliothèque : une participation volontaire serait à mon avis bien accueillie des lecteurs. Imposer une redevance de cent euros revient, en revanche, à exclure les lecteurs épisodiques (et à les renvoyer à la BNF).

En espérant que vous saurez entendre ces arguments, je vous prie, Madame la Directrice, chère collègue, d'accepter l'assurance de ma considération.

Elise Gillon, Lettres, 1996

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De: Romain Telliez Date: 28 octobre 2006 21:57:38 GMT+02:00

Madame,

Je viens d'apprendre la décision du Conseil d'Administration de l'Ecole mettant fin à la gratuité de l'accès à la bibliothèque pour les anciens élèves. Je la trouve parfaitement scandaleuse.

Que l'on instaure une cotisation modique pour le renouvellement de la carte de lecteur serait regrettable mais à la rigueur concevable. Que l'on entende imposer des tarifs dépassant le double de ceux pratiqués par la Bibliothèque Nationale de France, qui offre des prestations différentes mais combien supérieures à maints égards, est proprement ahurissant. Les enseignants-chercheurs, dont la rémunération est rien moins que mesquine et auxquels l'Etat refuse, la plupart du temps, un outil de travail décent, devraient-ils désormais payer de leur propres deniers le droit de continuer à exercer leurs missions ?

J'appréciais d'autant plus l'Ecole qu'on y cultivait de tout autres idéaux que le mercantilisme imbécile qui semble tenir lieu de pensée aux prétendues élites de ce pays. Je constate avec amertume que ce n'est plus le cas. Je vais donc mettre fin, avec non moins d'amertume, à quinze ans de fréquentation régulière de la bibliothèque de l'Ecole. D'une école dont je pensais demeurer toujours l'élève, mais dont je n'accepterai jamais de devenir le client.

Avec l'expression de ma profonde indignation.

Romain Telliez (Lettres, 1991)
Maître de conférences à l'Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)

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De: Laurent Vissiere Date: 29 octobre 2006 22:14:55 GMT+01:00

Objet: Bibliothèque

Madame,

J’apprends avec stupeur que le CA de l’École vient de voter la fin de la gratuité de la Bibliothèque pour les anciens élèves, et qu’il faudra bientôt débourser 100 euros (cent euros) pour y aller consulter un livre. Un canular ?

Apparemment pas, si j’en juge au nombre de méls qui s’échangent actuellement sur la toile.

Je suppose que les membres du CA ont des ressources insoupçonnées, ou encore qu’ils ne vont plus à la Bibliothèque depuis longtemps. Quoi qu’il en soit, je puis vous assurer que, comme nombre de collègues parisiens, je ne remettrai pas les pieds dans un établissement aussi dispendieux. Quant aux archicubes de province, la question ne se posera même pas. La Bibliothèque était un lieu de travail… et de convivialité, où justement, on pouvait continuer à se retrouver et à échanger. C’est à l’esprit de l’École que vous décidez de mettre fin. Et les travaux pharaoniques de l’ancien pavillon risquent d’aboutir à faire de la Bibliothèque un véritable sépulcre.

A défaut de clients, vous aurez toujours la ressource de vendre les livres.

Bref, je réprouve.

Laurent Vissière (Lettres, 1993)
Maître de Conférences en Histoire médiévale à Paris IV-Sorbonne

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De: François-Xavier Nérard Date: 29 octobre 2006 23:39:24 GMT+01:00

Objet: Bibliothèque

Madame la directrice,

J'apprends par mes camarades la décision du dernier conseil d'administration de l'Ecole de rendre payant l'accès à la Bibliothèque. Je tenais, après d'autres, vous dire à quel point j'ai été choqué. La bibliothèque fait partie du patrimoine de tous les normaliens. C'est un lieu auquel nous sommes tous profondément attachés. Si cette décision devait être maintenue, il ne restera décidément plus grand chose de l'Ecole que nous avons connue, celle que nous avons aimée et dont nous étions fiers. Les multiples réformes de ces dernières années s'inscrivent ainsi toutes dans une même logique de destruction d'une belle institution républicaine. Pour faire vivre la bibliothèque, il existe des solutions qu'une concertation préalable avec les élèves, les archicubes et les personnels aurait sans doute permis de dégager.

Il me semble absolument nécessaire que le prochain conseil d'administration revienne sur la décision de rendre l'accès à la Bibliothèque payant.

Je vous prie, Madame la directrice, d'agréer l'expression de mon plus profond respect,

François-Xavier Nérard (Lettres, 1991)
Maître de conférences en histoire contemporaine, Université de Bourgogne

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De: Anne Jacquemin Date: 30 octobre 2006 13:32:14 GMT+01:00

Madame la Directrice,

Ancienne élève de l'ENS - promotion Lettres 1971 de l'ENSJF -, j'ai profité de la bibliothèque de la rue d'Ulm (ainsi que de celle du boulevard Jourdan) dans mes années d'école, mais également lors de mon année de stage d'agrégation, ce qui a été profitable à ma thèse de troisième cycle. Par la suite, l'éloignement géographique (Athènes, Saint-Denis de la Réunion, Strasbourg) a fait que j'ai cessé de fréquenter régulièrement ce lieu. Cependant j'ai eu l'occasion d'y travailler lors des quatre sessions d'oral de l'agrégation d'histoire auxquelles j'ai participé.

Comme la taxe suisse sur les autoroutes, le système que le CA de l'ENS se propose de mettre en place nuit tout particulièrement à l'usager occasionnel, en l'occurrence ici l'archicube provincial qui pourrait trouver dans cette riche bibliothèque le livre utile à son travail : cela fait cher de la référence. Mais ce lecteur intéresse peu.

La mesure me semble aussi contre-productive en ce sens qu'elle nuit à l'évergésie : qui aura encore le désir de faire des dons, de léguer des livres, malgré la nostalgie de la jeunesse, la reconnaissance à une institution qui n'est peut-être plus ?

Recevez, Madame, je vous prie, l'expression de mes salutations les plus respectueuses.

Anne Jacquemin (Lettres, 1971)
Professeur d'histoire grecque, Université Marc Bloch, Strasbourg

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De: Patricia Eichel-Lojkine Date: 31 octobre 2006 09:56:19 GMT+01:00

Objet: Eloge d'une sage décision.

A l'attention de Madame Canto-Sperber, directrice de l'ENS,

Stultitia loquitur

Quel plaisir d’apprendre que mon règne s’étend, que les derniers bastions de l’intelligence, de l’esprit de service public cèdent sous les coups de butoir de ma marotte. Quelle gloire pour vous, madame, d’être à l’origine d’une si heureuse initiative propre à décourager définitivement ces chercheurs obstinés qui venaient de lointaines provinces ou de l’étranger (à leurs frais, voyez-vous cela) consulter des ouvrages introuvables près de chez eux. Parmi toutes les nouvelles qui me parviennent pour m’annoncer que la culture et le savoir reculent, que l’ignorance et l’injustice progressent, celle d’un octroi exigé des anciens normaliens pour pouvoir franchir la porte de leur bibliothèque est la plus réjouissante. J’imagine déjà ces salles désertées, où les livres aux reliures fatiguées pourront enfin sommeiller sur les étagères sans qu’on dérange leur repos ; où l’on n’y entendra plus ni le bourdonnement des conversations, ni le frémissement d’une page tournée ; où l’on percevra seulement, si l’on tend bien l’oreille, le léger tintement des grelots accrochés à mon célèbre bonnet.

Patricia Eichel-Lojkine (Lettres, 1985)
Professeur de littérature du XVIe siècle, Directrice-adjointe du département de Lettres (Université du Maine)

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De : Guillaume Bady Date : Tue, 31 Oct 2006 11:59:10 +0100

Objet : La pédagogie par l'argent?

Madame,

Avez-vous déjà essayé d'enseigner en proposant une bibliographie dont la plupart des titres sera inaccessible à la majorité des élèves? Ou tenté de faire comprendre à des auditeurs libres ou à des étudiants étrangers - à la fois les plus motivés et les moins argentés - qu'il y a de merveilleux livres à l'étage au-dessus, et qu'ils sont pour les autres, là juste à côté d'eux, mais assurément pas pour eux? Intéressante et acrobatique pédagogie, qui discriminerait entre les élèves et aboutirait dans les faits à devoir faire deux cours différents, un pour ceux qui ont 100 euros et un (comment?) pour les autres!

Autre chose: la bibliothèque littéraire a été en grande partie constituée par les livres en double qui encombraient la Sorbonne. Vous savez quels talentueux bibliothécaires ont réussi à la doter peu à peu de telle façon qu'un normalien n'a plus besoin de se rendre une seule fois dans sa vie à la - pourtant richissime - bibliothèque de la Sorbonne. Un normalien préfère la "bibale" même à la BNF quand il a le choix, ne serait-ce que parce c'est le dernier endroit où il sait pouvoir retrouver ses camarades. De façon significative, en tant que chercheur au CNRS, j'y viens pour faire mes recherches. Je doute que j'y retourne à l'avenir, j'irai plutôt dans de vraies bibliothèques, à la BNF - ou pourquoi pas aller à la Sorbonne autrement qu'en touriste? Ou peut-être, lors d'éventuelles portes ouvertes d'une Journée du Patrimoine, irai-je à l'Ecole? En touriste, pour voir le marbre de certains couloirs et le vieux lino tout usé et grinçant de la biliothèque? Non, ces lieux n'auront aucun intérêt et, de toute façon, me seront devenus -pire qu'étrangers -, parfaitement antipathiques.

Beaucoup d'autres bons et beaux arguments contre une taxe de bibliothèque sont à invoquer: les rappeler, ce n'est pas pingrerie de vieux privilégiés réactionnaires, c'est une évidence pour tous. Or pour la respecter il faut trouver ailleurs les espèces sonnantes et trébuchantes. Car vous répondez, peut-être non sans raison, déficit budgétaire. Mais c'est un déficit que vous avez créé vous-même, je crois, en application (dira-t-on un peu zélée et servile?) des règles de comptabilité publique; un déficit qui semble aujourd'hui vous servir de prétexte (à quoi? A dénaturer en profondeur l'ENS conformément à un modèle plus légitime car complètement en dehors du contexte ?). Je pense ne pas être le seul à me demander si vous avez simplement essayé de compter autrement. La Cour des comptes fait son travail, et c'est tant mieux. Que le ministère fasse le sien, en dotant la bibliothèque d'un budget spécifique égal à celui que jusque-là, elle devait prélever, si j'ai bien compris, sur d'autres lignes budgétaires. Il paraît que vous êtes spécialiste d'éthique ; je crois en tout cas que vous donnez des leçons de morale et de responsabilité sur toutes les ondes. Puis-je donc vous poser cette question : qui est mieux placée que vous pour défendre l'Ecole et lui garder ne serait-ce qu'un budget équivalent? Ou bien vous

a-t-on placée là pour couler l'Ecole et empêcher les étudiants d'étudier? Je n'ose vous dire vers laquelle des deux opinions vos administrés et vos camarades (un mot qui va vite disparaître, au rythme où vont les choses) penchent au vu de votre comportement actuel, et j'ose croire que, puisque vous communiquez si bien, vous saurez y remédier par ce qu'il y a de plus

convaincant : des actes justes.

Guillaume Bady (Lettres, 1993)
Chargé de recherche à HiSoMA (UMR 5189 du CNRS) à qui il est arrivé d'enseigner - bénévolement - à l'Ecole.

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De: Marie-Christine Marcellesi Date: 31 octobre 2006 15:18:32 GMT+01:00

Objet: bibliothèque

Madame la Directrice,

Ancienne élève de l'École, chercheur au CNRS actuellement détachée comme maître de conférences en histoire grecque à l'Université de Paris Sorbonne, je vous écris aujourd'hui pour vous faire part des vives inquiétudes que suscite en moi la nouvelle des frais d'inscription à la bibliothèque de l'École votés par le récent Conseil d'administration.

Je suis profondément attachée à la bibliothèque de l'École qui a été jusqu'à présent mon principal lieu de travail et à laquelle j'ai fait plusieurs dons, sous la forme d'argent et de livres. Les dédicaces que j'ai apposées sur ces ouvrages disent toute ma reconnaissance à l'égard de cette institution et de son personnel.

Les décisions votées introduisent entre les archicubes et les autorisés une différence qui me paraît préjudiciable à la fois à la bibliothèque et à l'École. Il est clair que, devant les tarifs imposés, la plupart des autorisés renonceront à s'inscrire ; or la Direction des bibliothèques demande régulièrement à la bibliothèque de l'École de s'ouvrir à un public plus large. La différence introduite donnera à la communauté universitaire et scientifique une image très négative de l'École. Enfin, il est tout à fait regrettable que l'on n'ait pas prévu un tarif réduit pour les autorisés non titulaires, comme pour les archicubes. Il me semble que la bibliothèque et l'École ont tout à gagner à traiter de manière égale, parmi les lecteurs de la bibliothèque, les archicubes et les autorisés qui sont nos collègues à l'Université ou au CNRS.

Pour l'ensemble des lecteurs, archicubes et autorisés, le montant des tarifs votés est excessif, étant donné l'évolution du pouvoir d'achat des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Ces tarifs décourageront définitivement les lecteurs qui ne viennent pas régulièrement, soit parce qu'ils habitent loin de Paris, soit parce qu'ils travaillent dans des disciplines que la bibliothèque ne couvre pas de manière suffisante. Il est à craindre que les lecteurs habitant à Paris ou dans la région parisienne et travaillant dans les domaines qui sont les points forts de la bibliothèque ne soient découragés également. Je fais partie de cette catégorie et j'envisage sérieusement, si les tarifs votés étaient maintenus, de recourir aux services d'autres bibliothèques parisiennes. Les publications de nombreux collègues qui n'ont jamais eu accès à la bibliothèque de l'École montrent que l'on peut y travailler de manière tout à fait satisfaisante.

Pour toutes ces raisons, les droits d'inscription qui ont été votés, s'ils étaient maintenus, videraient la bibliothèque de ses lecteurs et en feraient une bibliothèque morte. Je souhaite pour ma part qu'elle continue d'être un lieu de recherche et d'échanges bien vivant et c'est la raison pour laquelle je vous demande, Madame la Directrice, de faire en sorte que le Conseil d'administration revienne sur les décisions votées.

Veuillez agréer, Madame la Directrice, mes respectueuses salutations,

Marie-Christine Marcellesi (Lettres, 1990)
Chercheur au CNRS, Maître de conférences à l'Université de Paris Sorbonne

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De : Marie-Anne Sabiani : Date : Ven 3 nov 2006 10:19

Madame la Directrice

Je suis stupéfaite d'apprendre que le Conseil d'Administration de l'Ecole a pris la décision (apparemment dans des conditions fort contestables) de faire de la Bibliothèque, de notre Bibliothèque, un endroit où nous serons désormais sommés de payer pour avoir accès aux outils qui nous permettent d'exercer notre profession de chercheur et d'enseignant.

Faut-il comprendre que l'ENS se transforme en prestataire de services payants ? dois-je comprendre qu'il semble plus commode d'obliger les personnes qui ont besoin de cette bibliothèque - ou qui aiment tout simplement la fréquenter - à donner de l'argent, que de considérer son fonctionnement comme une priorité de l'administration ?

Je crains que l'effet obtenu ne soit pas celui recherché, ou prétendument recherché : l'instauration de ce péage est en soi un tel déni de l'esprit de l'Ecole que nous serons sans doute nombreux à avoir le chagrin de renoncer à la fréquenter — le pire étant que certains seront forcés d'y renoncer, faute de pouvoir en assumer le coût. La sélection par l'argent à l'ENS ? l'idée me fait frémir. Dans le système que vous souhaitez mettre en place, les Normaliens désargentés seraient chassés de leur Bibliothèque? comment peut-on tolérer une telle idée?

J'ai souhaité vous faire part personnellement de ma stupeur et de mon indignation, et j'espère sincèrement que cette décision qui ne peut être que préjudiciable à l'Ecole sera reconsidérée.

Je vous prie de recevoir, Madame la Directrice, mes salutations respectueuses.

Marie Anne Sabiani (Lettres, 1991)
Maître de conférences, Université Paris IV Sorbonne. Institut de Grec

La réponse type

Cher Monsieur (ou Chère Madame), pour l'heure, aucune décision n'est prise. Le financement de la bibliothèque des lettres de l'ENS est un problème dramatique. Ont été votés au CA le principe et le montant de frais de bibliothèque afin de rendre possible l'élaboration du budget de la bibliothèque des lettres pour 2007 (lequel doit être établi à la date du 1er décembre 2006 à hauteur de 1 200 000 euros alors que nous ne disposons que de 400 000 euros). Seul un tiers du financement de la bibliothèque est donc aujourd'hui assuré. S'il apparaît que d'autres solutions de financement (autres que le paiement de frais d'accès) sont praticables et suffisantes, elles seront, cela va de soi, préférées. Sachez que cette hypothèse de frais d'accès est, à mes yeux, désolante, mais elle a été envisagée comme un ultime recours face à une situation très préoccupante. Amicalement à vous, MCS

La (longue) réaction collective à cette réponse de Laurence Mellerin-Picard, Emmanuel Lyasse, Dominique Lenfant, et Romain Telliez