Note du Collectif : Ce texte circule depuis quelques jours sur le web. Il n'est pas signé. Nous la publions pour information. Il va de soi que son contenu ne saurait engager le Collectif. Cependant, nous devons à la vérité de signaler que les faits qu'elle évoque, dans leur majorité, sont connus de nous et facilement vérifiables, et qu'en tout cas nous n'avons relevé aucune erreur flagrante. L'anonymat de son auteur, regrettable, nous semble moins imputable à lui qu'à un climat de terreur qui n'est pas sain.


PETITE NOTE concernant les problèmes rencontrés actuellement par la Bibliothèque des Lettres de l’École normale supérieure (et, plus généralement, par l'École dans son entier)

Introduction :
    Cette note, destinée à une large publicité, a été rendue nécessaire par les désagréments multiples survenus dans le financement de la Bibliothèque des Lettres, difficultés qui ont incité la direction à prendre des mesures controversées, et à tout le moins mal perçues en général par la communauté normalienne (élèves en scolarité et archicubes) et plus généralement par l’ensemble des lecteurs de la Bibliothèque (qui s’est ouverte à un grand nombre " d’autorisés "). La direction de l’École a justifié ces mesures par le désengagement financier de l’État — en l’occurrence le Ministère de tutelle de l’École — ce qui ne paraît pas entièrement juste. On a voulu ici rétablir des faits que la communauté normalienne et l’ensemble de la communauté scientifique française ignorent dans leur grande majorité. Aussi ce texte se limitera-t-il à l’énoncé objectif des faits, en évitant la polémique, et sans les effets de style qui rendent si souvent la lecture de ce genre de prose inoubliable, mais partiale.
RAPPEL : la dotation globale de l’ENS se monte approximativement à 1,2 / 1,3 millions d’euros. Elle a été passée à titre exceptionnel à 3,4 millions d’euros (dont une bonne partie doit servir au financement de travaux obligatoires, si bien qu’on peut toujours compter sur la somme précisée ci-dessus).
Le budget de la Bibliothèque des Lettres de l’École :
    Les besoins de fonctionnement de la Bibliothèque des Lettres sont estimés à 1,3 millions d’euros annuels (parmi lesquels environ 400 000 euros pour les abonnements suivis).
    La politique suivie par les directeurs précédents, notamment Monsieur Ruget (directeur de 2000 à 2005), était de financer à 93 % la Bibliothèque des Lettres (soit 1,2 millions d’euros) sur la dotation globale de l’École. Monsieur Ruget procédait ainsi selon 2 principes :
- Les livres relèvent du fonctionnement de l’École, au même titre que les ascenseurs ou les fauteuils.
- La direction de l’École se doit de ne prélever pour elle-même que le minimum sur la dotation globale de l’établissement, ce qu’on peut résumer ainsi : il faut une direction pauvre (réceptions peu fastueuses, train de vie directorial simple…)
Les 7 % restants (environ 100 000 euros) sont financés par le Ministère de tutelle.
    Le budget mis à la disposition de la Bibliothèque, sous la direction successive de Messieurs Guyon et Ruget a pu ainsi s’accroître, en accord avec le ministère, afin de pourvoir à la modernisation de la Bibliothèque (informatisation entre autres) ; en contre partie, la Bibliothèque des Lettres de l’ENS s’ouvrait plus largement à l’extérieur, ce qui s’inscrit dans la logique normalienne et, plus généralement, scientifique, de collaboration des chercheurs pour le progrès de la recherche elle-même. La construction du NIR (Nouvel Immeuble Rataud) destiné à accueillir entre autre une extension de la Bibliothèque des Lettres, a été financée par le Conseil Régional dans un état d’esprit similaire, c’est-à-dire en échange d’une ouverture accrue de la Bibliothèque.
    L’arrivée de Madame Canto-Sperber à la direction de l’ENS a bouleversé cette politique " traditionnelle ". En s’appuyant sur un rapport de l’Inspection Générale des Finances, que personne n’a pu consulter en dehors de Madame la directrice, pour des raisons inconnues, cette dernière a décidé elle-même de couper la Bibliothèque des Lettres de son financement principal. Désormais, la dotation globale de fonctionnement de l’École ne fournira plus un centime d’euro à la Bibliothèque des Lettres, selon une stratégie déterminée par la directrice.
    Que reste-t-il à la Bibliothèque ? Le ministère de tutelle a augmenté sa dotation, en la passant de 100 000 à 400 000 euros, un effort considérable mais malheureusement insuffisant puisque le budget de la bibliothèque a chuté de 1,3 millions d’euros à 400 000 euros, ce qui couvre tout juste les abonnements de la Bibliothèque, mais ne permet plus d’acheter aucune monographie hors des collections suivies.
En outre, du fait du déficit de financement, et même si les lecteurs, comme le prévoit la direction, sont contraints de payer une " taxe " pour accéder à la Bibliothèque (avec 2 à 3000 lecteurs " actifs ", on arrive péniblement, si personne ne refuse de payer — cas hautement improbable — à 300 000 euros, soit 700 000 euros en tout) la Bibliothèque ne pourra plus continuer de fermer à 18h ni d’assurer la rétro-conversion des ouvrages (préliminaire indispensable à l’informatisation). Ce sera donc la fin des facilités mises à la disposition des lecteurs. Qui peut se permettre de penser que les lecteurs accepteront de payer pour des services amoindris ?
Enfin, pour ce qui est du NIR, contrairement aux engagements que la directrice a par ailleurs confiés à la presse, les 6 postes à temps plein nécessaires pour y déplacer les livres, effectuer la maintenance quotidienne, etc. n’ont pas été dégagés. Comme le départ de 6 employés à temps plein se profile, et que la Bibliothèque a reçu 2 personnes à temps partiel pour seulement 3 mois, elle va fonctionner désormais avec —12 postes.
En conclusion, la bibliothèque des Lettres de l’ENS s’éloigne à grand pas des standards de qualité des bibliothèques de rang européen, ou même national.
Du côté du " fund-raising " promis par la directrice, en revanche, les projets attendent toujours leur réalisation. Du partenariat avec Dell, qui permettrait d’obtenir gratuitement la fourniture du parc informatique de la Bibliothèque, on n’entend plus parler. Idem pour la numérisation du fonds qui aurait pu être confiée à Google.
    La " validation " de ces décisions a été obtenue par 3 moyens principaux :
- le vote du Conseil d’Administration : or, il se trouve que les membres élus du CA ont toujours refusé en bloc ces innovations, présentées dans des conditions parfois à la limite de la légalité (par exemple, pour le vote de la fameuse " taxe " d’entrée, les représentants élus ont pris connaissance de la chose en entrant dans la pièce le jour du vote, et n’ont pu faire reporter ledit vote. Madame Canto-Sperber a elle-même concédé que c’était un accord arraché " à la hussarde "). Par ailleurs, les membres nommés par le ministère de tutelle, généralement absents, ont donné procuration à des membres soumis aux décisions de la directrice. Ainsi, le pouvoir de la directrice sur le budget est quasiment discrétionnaire.
    - par pression hiérarchique lourde : il faut souligner que la signature que Madame Laure Léveillé, actuelle directrice de la Bibliothèque des Lettres, a dû apposer à la missive de la directrice mentionnant des amendements aux décisions prises par le CA, a été obtenue moyennant une " négociation " (si on peut appeler ainsi un ensemble de pressions hiérarchiques) de 4 heures, le mardi 31 octobre, au sortir de laquelle Madame Léveillé a pratiquement (et littéralement) explosé. Si Madame Léveillé n’a pas mis sa démission en jeu, c’est probablement parce qu’elle sait bien, comme beaucoup parmi les habitués de notre École, que ce serait répondre trop facilement aux désirs de la directrice de l’École.
    - la division effectuée à dessein entre scientifiques et littéraires de l’École : les Littéraires sont en effet isolés dans la mesure où Madame Canto-Sperber a eu la finesse de répartir le budget du contrat quadriennal (en augmentation grâce au Ministère de tutelle) de la manière suivante : 2 millions d’euros pour les scientifiques, 800 000 euros pour les Littéraires ; une disparité criante qui ne peut être mise au compte de la seule disparité des besoins entre les 2 branches de la science. Car les matières littéraires à l’École gagneraient à obtenir des fonds pour la numérisation des données qui décuplerait les potentialités de travail des chercheurs… Il faut également noter que sur les 800 000 euros alloués à la recherche des " Littéraires " de l’École, 400 000 sont accordés au fonctionnement de Millenium, qui sert également aux bibliothèques de Mathématique et de Physique… Quoi qu’il en soit, les scientifiques sont plutôt contents, et ne risquent pas de remuer ciel et terre pour les Littéraires.
    Bien entendu, tout ceci se passe à l’insu du Ministère de Tutelle qui, lui, est de bonne foi en allongeant sans cesse les crédits alloués à l’ENS.
    On peut donc se demander où passent les 1,2 millions d’euros de la dotation en fonds propres de l’ENS. C’est assez simple : recrutement de post-doctorants et d’un directeur de cabinet (du jamais vu dans cet établissement) pour aider la directrice à faire face à ses toujours plus nombreuses fonctions (Public Sénat, productrice à France Culture, professeur à Polytechnique) qui ne lui laissent guère le temps d’être à l’École, ce qui se voit dans sa gestion des affaires courantes (les notes remontées par le personnel sur l’état de l’École ne sont jamais lues) mais aussi dans l’inflation des dépenses : la directrice a ainsi obtenu un appartement de fonction pour son chauffeur, privilège réservé aux fonctionnaires d’astreinte, c’est-à-dire que le chauffeur est à la disposition de la directrice également en soirée. Malgré l’existence d’une seconde voiture de fonction, lorsque l’automobile principale est en révision, on loue sur fonds propres une voiture identique à cette dernière…
    On peut également parler, pour compléter cette brève relation des effets de la médiatisation forcenée de la directrice, de l’exposition sur Dreyfus qui va être inaugurée le 15 novembre prochain, d’un coût d’au moins 100 000 euros. Le moins que l’on puisse dire est que réaliser des expositions ne devrait pas faire partie des préoccupations premières d’une École qui n’apparaît pas même capable d’entretenir ses toilettes. Comme le disait en son temps Jean Rostand, c’est un peu avoir des dentelles avant d’avoir des chemises.
    Pour en revenir à ce qui nous préoccupe, le financement de la Bibliothèque, Madame Canto-Sperber a paru céder récemment sur la question de la " taxe ". En fait, seul un CA peut défaire ce qu’un CA a voté, donc ses promesses n’engagent que ceux qui les croient. La directrice refuse de revenir sur ce vote, qui a établi des frais d’accès universels, y compris pour les élèves de l’École (des frais de 30 euros déduits de leur contribution au diplôme de l’ENS qui devient de ce fait obligatoire pour accéder à la Bibliothèque…)
    Pour conclure, en raison des méthodes de " gouvernance " de la direction, comme de ses choix budgétaires l’École, (enseignants, élèves, personnels) notamment dans sa branche littéraire, souffre. On peut penser qu’elle ne se laissera pas faire. À chacun d’apprécier…

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